Yoenaï 6

          Le soleil entrait à flot dans la cabane quand il ouvrit les yeux. Il mit du temps à se souvenir d’où il était. Puis il s’aperçut qu’il tenait toujours la main de Yoenaï, et que la jeune femme dormait assise par terre, la tête appuyée sur le canapé. Elle était belle et elle était restée près de lui. Il s’en voulut un peu de l’avoir obligée à dormir là…

          Il se leva sans bruit, soucieux de ne pas la réveiller. Il avait le corps encore endolori, mais il avait les idées claires. Il chassa de son esprit les événements de la veille. Il ne voulait plus y penser. Il quitta son chandail, et même son T-shirt, il faisait déjà chaud. Torse nu, seulement vêtu de son jean, il sortit sur le pas de la cabane. L’air de la mer vint lui caresser la peau. La journée était magnifique. La plage qui s’étendait devant lui était déserte. Il avait l’impression d’être l’unique rescapé d’une catastrophe, seul sur une île paradisiaque. Il revivait.

          Il rentra dans la cabane et fouilla autour du poêle, dans des paniers. Il trouva du pain, du café, de la confiture. Il fit chauffer de l’eau. Préparer le petit déjeuner était la moindre des choses qu’il pouvait faire pour elle.

          Il  posait des bols sur la table quand elle émergea.

          «  - Excuse-moi, je ne voulais pas te réveiller… »

-          J’ai assez dormi… Ca va ? »

          Il hocha la tête. Il la regarda se lever et s’étirer. Elle ne portait toujours que son maillot de bain et son minishort en jean. Elle était bronzée, la taille fine, de la grâce dans chaque mouvement.

          « Je suis désolé, s’excusa-t-il encore, je ne voulais pas te faire dormir par terre. »

          Elle secoua la tête, et s’assit à table, face à un bol :

          « Un homme qui prépare le petit déjeuner, j’adore ça ! »

          Il sourit, versa du café et prit place à son tour. Il la regardait manger, rêveur. Combien d’hommes avaient préparé le petit déjeuner ici avant lui ? Qu’est-ce que ça pouvait lui faire ? Ce qu’elle était belle…

          « - Tu manges pas ? demanda-t-elle soudain.

-          Je… Si… »

          Il mordit dans son pain. La brûlure dans son estomac se rappela à lui, comme un vieux souvenir, puis le laissa tranquille.

          Ils finirent leurs cafés puis firent la vaisselle en silence.

          Elle entreprit ensuite de balayer le sol de la cabane, et il sortit pour ne pas la gêner. Il ne parlait pas de partir. Il ne voulait pas partir. Il s’assit dans le sable, devant la cabane. Il ne se sentait pas le courage de retrouver sa vie. C’était trop tôt. Il était encore en fuite. Et ce qu’il avait vécu le faisait réfléchir. Il se sentait bien ici, protégé, à l’abri de tout. Il devait bien s’avouer aussi que Yoenaï l’intriguait. Elle ne lui avait posé aucune question, mais elle semblait tout savoir. Elle n’était pas très grande, et bien que d’allure sportive, il ne comprenait pas comment elle avait pu nager aussi loin qu’il avait été, et surtout le repêcher et le ramener. C’était une évidence qui ne l’avait pas effleuré la veille, mais qui le talonnait aujourd’hui. Il y avait d’autres choses aussi, son prénom qui semblait vouloir lui dire quelque chose, ses yeux trop profonds, l’étrange pouvoir de ses mains…

          Quand elle eut fini, il entra dans la cabane. Ses yeux habitués à la clarté du soleil ne la voyaient pas, mais il dit :

          « - Yoenaï… hier soir… je peux te demander...

-          Non. »

          La réponse claqua, net, sans appel. Il ouvrit de grands yeux stupéfaits. Elle se tourna vers lui, et reprit avec douceur :

          « Reste là autant que tu veux. Repose-toi. T’es là chez toi. Mais ne demande rien, s’il te plait. »

          Il lui sembla que la voix de la jeune femme se brisait sur ses derniers mots. Elle détourna la tête et se pencha sur le poêle comme pour le nettoyer. Il avait envie de s’approcher d’elle, de la prendre dans ses bras, de comprendre. Il n’osa pas. Que cachait-elle ?

          Il ressortit. Le soleil sur sa peau nue lui faisait du bien. Il écoutait le chant des vagues quand elles viennent mourir sur la plage. Il laissait machinalement le sable couler entre ses doigts. Un havre de paix…

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