Marlène 5/5

Publié le par lily83

           Les jours passèrent. Patrick joua encore avec plaisir les moniteurs d’équitation. Lui et Marlène firent d’autres ballades. Elle était heureuse. Mais chaque soir la rapprochait du dernier.

           Un matin, elle se leva le cœur gros. Demain, Patrick rentrait à Paris. Elle avait lutté pour ne pas y penser, mais maintenant…

           Comme tous les jours, en arrivant, il vint la rejoindre à la cuisine, et elle lui servit un café.

           « Tes cafés vont me manquer » dit-il gentiment en prenant la tasse. 

           Elle retourna à sa vaisselle sans répondre. Tout ce qu’elle aurait pu dire l’aurait fait éclater en sanglots instantanément.

           Il sirota son café en silence, gravant dans sa mémoire chaque détail de la cuisine. Lui aussi avait le cœur un peu lourd.

           Puis ils allèrent travailler. Marlène avait le sentiment que le monde pesait une tonne. Comment allait-elle faire quand il serait parti ? Elle s’en voulait. Elle le savait, depuis le début, qu’il partirait. Depuis le premier jour, elle avait fait en sorte de ne pas s’attacher, du moins pas plus que ce qu’elle cachait, elle avait lutté pour ne pas y croire, elle avait pris les moments comme ils venaient, sans penser au lendemain. Elle aurait voulu le laisser partir en ayant le cœur en paix. Elle l’aimait. Mais ce n’était pas la peine de rêver. Ils n’habitaient pas sur la même planète. Elle ne voulait même pas savoir s’il reviendrait.

           Pour rien au monde elle ne lui aurait avoué ses sentiments. Leur amitié était trop belle, trop précieuse.

           Elle aurait voulu retenir chaque seconde, mais la matinée passa vite, et ils se retrouvèrent rapidement autour de la table du déjeuner. Seul Guy avait de l’entrain :

           « Alors comme ça, tu nous quittes ?

-          Oui, répondit doucement Patrick.

-          Tu vas nous manquer ! » fit le vieil homme en prenant une tranche de jambon.

           La phrase était anodine, mais Guy glissa un regard entendu à Marlène, et celle-ci plongea le nez dans son assiette. Il l’avait démasquée depuis longtemps. Heureusement, Patrick n’avait rien vu.

           « Vous allez me manquer aussi, murmura Patrick.

-          T’as du travail qui t’attend ? »

           Patrick réfléchit. Il avait des projets, un nouveau disque à enregistrer, des concerts à assurer, de la promo… Il n’avait pas envie d’y penser. Il était encore ici. Guy n’insista pas ; il se faisait du souci pour un poulain fragile, et le reste du repas se passa à parler de l’animal.

           Le vieil homme parti à la sieste, ils firent la vaisselle en silence. Marlène aurait voulu parler, détendre l’atmosphère, faire comme si… Mais ce fut Patrick qui fit l’effort :

           « Tu fais quelque chose ce soir ? »

           La jeune femme le regarda sans comprendre. Il continua :

           « Si ma patronne le permet, je voudrais l’inviter au restaurant. »

           Elle le dévisagea, et soudain, lâcha sa vaisselle et quitta la cuisine en courant. Elle traversa la cour et s’effondra en sanglots au pied d’un arbre. Pourquoi lui faisait-il ça ? Pourquoi l’inviter, pourquoi prolonger, retarder le moment de se séparer ? Ne comprenait-il pas ?

           « Marlène… »

           Il la rejoignit et s’agenouilla dans l’herbe, près d’elle :

           « Marlène, qu’est-ce qu’il y a ? »

           Secouée de sanglots, elle était incapable de répondre. Il la prit dans ses bras, la berçant doucement.

           Elle était si bien contre sa poitrine que ses sanglots redoublèrent. Elle aurait voulu qu’ils ne cessent jamais, pour qu’il la garde contre lui. Mais peu à peu ses larmes se tarirent, et elle s’écarta de lui :

           « Ne t’en fais pas, c’est rien, dit-elle en essuyant ses joues et en évitant son regard. Je suis un peu fatiguée en ce moment. »

           Il lui prit le menton, l’obligeant à relever la tête, et planta les yeux dans les siens :

           « Tu me jures que ça va ? »

           Elle hocha doucement la tête. Il passa ses grandes mains sur ses joues, comme pour effacer les dernières traces de larmes. Elle se retint de fermer les yeux et de se jeter dans ses bras. Se rendait-il compte des caresses ?

           Elle se releva avant de perdre la tête, et lui sourit :

           « Pour le resto ce soir, c’est d’accord. »

           Il se leva à son tour et lui rendit son sourire :

           « Je préfère ça ! »

           Ils rentrèrent finir de ranger la cuisine, puis partirent se promener à cheval.

           C’est de la folie d’avoir accepté l’invitation, ne cessait de se répéter Marlène. Elle le regretterait forcément. Mais si elle avait refusé, elle l’aurait regretté plus encore.

           Cet après-midi là, ils parlèrent peu. Leur présence et le silence de la forêt suffisaient.

           Quand ils rentrèrent, ils s’occupèrent du centre comme chaque soir. Puis Guy serra la main de Patrick :

           « La patronne te le dira pas, alors je le fais. Tu nous as donné un sacré coup de main ! Reviens quand tu veux ! »

           Patrick remercia, rougissant presque. Un compliment de la part de ce vieil homme avait quelque chose de très intimidant.

           « Allez gamin, bon vent ! Et ne nous oublie pas pendant encore dix ans ! »

           Patrick n’eut pas le temps de répondre que déjà Guy avait tourné les talons. Marlène n’avait pas levé le nez de ses chaussures pendant la conversation. Elle trouvait que Guy exagérait. Pourtant, c’était vrai. Comme garçon d’écurie, Patrick avait été exemplaire. Et elle ne doutait pas que Guy souhaitait le revoir. Mais à sa façon de le dire… Elle trouvait qu’il laissait trop entendre ce qu’elle ne voulait pas dire. Elle se faisait des idées, sans doute…

           « J’y vais. »

           La voix de Patrick la sortit de ses rêves.

           « Euh… oui.

-          Je passe te prendre dans une heure, ça ira ?

-          Je serai prête. »

           Elle le regarda s’éloigner. Il aurait dû partir. Au revoir. Terminé. C’était bien et c’est fini. Au lieu de ça, il allait revenir et l’emmener au restaurant. A quoi ça rimait ?

Elle se fit la même réflexion après sa douche, en finissant de se coiffer. A quoi ça rimait de s’habiller comme ça ? Elle se surprenait à avoir des gestes de coquette, même à se trouver jolie dans le miroir. Pour qui, pour quoi ? Demain, il serait rentré à Paris. Il l’oublierait aussitôt. Elle s’en voulait de l’aimer.

           Elle finit par tirer la langue à son reflet. Demain n’avait pas d’importance. Ils avaient encore une soirée à passer ensemble, et elle voulait plus que tout profiter de sa présence.

           A l’heure dite, il était là. Elle lui ouvrit et il resta stupéfait une seconde. Puis il lui prit la main, et la fit tourner pour l’admirer :

           « Tu es magnifique… »

           Elle rougit sous le compliment et réalisa que c’était la première fois qu’il la voyait habillée comme une femme. Elle portait une robe noire, simple mais élégante, elle avait coiffé ses cheveux, et mis un peu de couleurs sur ses yeux et sur ses lèvres.

           Lui avait mis un pantalon et une veste noirs, ainsi qu’une chemise d’un violet très sombre. Il sentait bon, et elle se demanda un instant comment elle allait pouvoir résister toute la soirée.

           « On y va ? »

           Elle hocha la tête, ferma la porte à clé, en se demandant combien de fois elle était sortie comme ça ses derniers temps, et le suivit.

           Le trajet dans la voiture se fit en silence. Ils étaient soudain comme intimidés.

 

           Quand ils s’arrêtèrent enfin devant le restaurant, et qu’elle vit où il l’emmenait, elle regretta d’être venue. Qu’avait-elle crû ? Il aurait pu l’emmener partout, dans n’importe quel petit resto sympa des environs. Mais non, il l’avait emmenée dans le restaurant le plus romantique de la région. C’était un dîner aux chandelles qu’il lui offrait ! Elle ne comprenait pas. Machinalement, elle le suivit à l’intérieur, et s’assit à la place que lui désignait le maitre d’hôtel. Elle regardait autour d’elle. Il n’y avait pratiquement que des couples, et des bougies sur les tables, et une ambiance feutrée, et…

           « Patrick ? »

           Mais elle tressaillit aussitôt. Il venait de poser sa main sur la sienne. Elle crut que son cœur allait exploser et retira vivement sa main :

           « Patrick, à quoi tu joues ? »

           Il planta ses yeux bruns dans les siens, bleus profonds dans la lumière des chandelles :

           « Je ne joue pas.

-          C’est quoi tout ça ?! Ce restaurant, ces bougies, ta main ?!

-          Marlène…

-          Je ne suis pas l’une de tes poupées parisiennes ! »

           La phrase avait claqué si fort dans l’air qu’ils restèrent un instant stupéfaits. Marlène fut la première à réaliser, et quitta la table en courant. Elle se réfugia dans les toilettes où elle éclata en sanglots. Comment avait-elle pu lui dire une telle horreur ? Mais aussi, pourquoi venait-il tout gâcher comme ça ? Ne pouvaient-ils pas rester amis ? Que cherchait-il au juste ?

           « Marlène, sors de là, s’il te plait… »

           C’était Patrick, qui l’avait suivie, et qui tapait à  la porte.

           « Marlène, je t’en prie…

-          J’te déteste, hoqueta-t-elle.

-          Marlène, qu’est-ce que j’ai dit ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Explique-moi.

-          Pourquoi tu gâches tout ? Pourquoi tu fous en l’air notre amitié ?

-          Sors, s’il te plait, » répéta-t-il doucement.

           Il l’entendait pleurer derrière la porte, et il se sentait tellement impuissant :

           « Marlène… Line… »

           Elle s’arrêta en entendant ce surnom. Il n’y avait que lui qui l’appelait comme ça, quand elle était petite. Il s’en souvenait encore…

           « Line… Je t’aime… »

           Son cœur manqua un battement. Il n’avait pas dit ça. Il ne pouvait pas avoir dit ça. Et elle ne pouvait pas le croire.

           « Line… Dis-moi quelque chose, s’il te plait… »

           Elle se remit à pleurer.

           « Tu rentres à Paris demain… »

           Il sembla hésiter derrière la porte. Puis elle l’entendit s’éloigner et resta enfermée dans les toilettes. Elle l’aimait, mais elle ne voulait pas d’une histoire compliquée, elle ne voulait pas souffrir, et elle ne lui faisait pas confiance. Elle ne savait rien de sa vie à Paris. Elle ne savait rien de lui, en fait.

           Quand il revint, il glissa un mot sous la porte.

« Marlène,

            J’avais gardé de toi le souvenir d’une petite fille que j’adorais. Et j’ai retrouvé une femme adorable. Je suis tombé amoureux de toi. Tu as peut-être raison quand tu parles des poupées parisiennes, mais je ne t’ai pas prise pour l’une d’elle. Je ne te promets rien. Je ne te demande rien. Je t’aime. S’il n’y a rien à essayer entre nous, je veux en être sûr.

Patrick. »

           Tout en lisant, les larmes se remirent à couler sur son visage. Elle aurait voulu lui hurler qu’elle l’aimait aussi. Depuis tant et tant d’années.

           « Line, je t’en prie, sors… »

           Elle céda enfin et déverrouilla la porte. Peu lui importait soudain qu’il la vit pleurer. Elle se blottit dans ses bras :

           « Patrick… hoqueta-t-elle. Patrick, pourquoi c’est si compliqué ? »

           Il la serra contre lui :

           « Parle-moi… »

           Elle ne répondit rien, et après un moment, une fois plus calme, elle demanda seulement :

           « On va manger ? »

           Il hocha la tête et la suivit.

           Ils passèrent le dîner à bavarder légèrement, d’abord en se forçant un peu, puis en retrouvant leur complicité et parvenant même à rire comme deux camarades. L’un comme l’autre savait que Patrick devait quitter la Corse le lendemain. Tous deux savaient que sa vie était sur le continent, et ils savaient également que Marlène ne quitterait pas le centre pour le suivre à Paris. Ils se respectaient trop pour être même effleuré par l’idée que l’autre puisse changer de vie. Leur histoire était vouée à l’impasse.

           Quand ils quittèrent le restaurant et montèrent dans la voiture, Patrick proposa :

           « Tu veux voir ma maison ? »

           Marlène le regarda du coin de l’œil, cherchant à déceler le piège. Mais il n’y en avait pas,  et puisqu’elle n’avait pas envie de le quitter, elle accepta.

           Ils roulèrent en silence dans la forêt endormie puis s’arrêtèrent devant une très belle maison. Patrick descendit et lui ouvrit la portière, puis il déverrouilla la porte d’entrée, alluma la lumière et laissa passer Marlène :

           « C’est magnifique » s’exclama-t-elle en regardant autour d’elle.

           Le hall d’entrée donnait sur un salon immense, dans un style contemporain. Les baies vitrées laissaient deviner à quel point tout devait être lumineux en plein jour. Elle entra un peu plus, s’extasiant sur tout. Il aurait voulu lui dire que tout était à elle, si elle voulait, mais il se retint. Elle lui en aurait voulu. Il dit seulement :

           « C’est un peu trop grand... »

           Elle le regarda. Il avait l’air triste soudain, et elle se sentit émue. Poupées parisiennes ou pas, il était seul. Elle s’approcha de lui, et entoura sa taille de ses bras. Elle posa la tête sur son épaule, se faisant aussi câline que possible. Puis elle murmura :

           « Tu veux que je dorme là ce soir ? »

           Il la regarda, surpris :

           « Tu veux dormir là ? »

           Elle sourit :

           « Oui… Amis… »

           Il lui rendit son sourire. Il avait compris. Il lui prit la main, éteignit le salon et l’emmena dans sa chambre.

           Ils passèrent la nuit dans les bras l’un de l’autre, comme autrefois, quand Marlène était une petite fille et qu’elle venait soigner son cafard à lui. Il ne dormit pas beaucoup, trop occupé à la regarder. Elle était belle. Elle était fragile. Il ne l’abimerait pas. Elle avait droit au bonheur.

           Le matin fut trop vite là. Ils burent un café en silence, et Patrick prépara ses affaires. Son avion décollait à onze heures. Marlène avait décidé de l’accompagner.

           Quitter la maison, aller jusqu’à l’aéroport, attendre l’embarquement… Pendant tout ce temps, ils ne se dirent pas un mot. Il n'y avait rien à dire. Mais ils se tenaient la main.

           Quand l’hôtesse annonça l’embarquement pour Paris, et que Patrick lâcha la main de Marlène, celle-ci le retint un instant. Elle posa un baiser sur ses lèvres avant de le laisser partir. Il ne se retourna pas.

           Elle resta dans l’aéroport jusqu’à ce que l’avion décolle, puis prit un taxi pour rentrer chez elle. Amis ? Amoureux ? Comment s’étaient-ils quittés ? Et quel avenir ?

           Elle passa sa langue sur ses lèvres. Elles avaient gardé le goût de Patrick.

 

 

 

Publié dans Nouvelles

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