Yoenaï 3

            Ils restèrent longtemps assis sur la plage. Elle attendait que les couleurs reviennent sur son visage, et quand elle sentit que le vent devenait plus frais, elle se leva et lui tendit la main :

            « Essaie de te mettre debout. On peut pas rester là. Il va faire nuit. »

            Il la dévisagea, se sentant absolument incapable de se lever, et encore moins de marcher.

            « J’peux pas » murmura-t-il.

            Elle lui sourit gentiment, et lui prit la main d’autorité :

            « Bien sûr que si, tu peux ! Je suis là, je t’aide. Me dis pas qu’un gars comme toi, beau et costaud peut pas faire ça ! »

            Il sourit faiblement. Il n’avait rien ici du séducteur qu’il était habituellement.

            « Allez, viens ! » fit-elle encore, le tirant par la main.

            Il n’avait pas le choix. Il prit une inspiration qui lui laboura les poumons, et monopolisa toute sa volonté pour se mettre debout. Il chancela et se rattrapa à la jeune femme. Ca tournait beaucoup trop.

            Mais elle était là, solide, l’encourageant doucement :

            « Tu vois que t’y arrives… Tu me dis quand tu te sens prêt à marcher. Je te promets que c’est pas loin. »

            Il laissa passer le tournis, et s’enhardit peu à peu à lâcher son ange gardien. Enfin, il tint debout, seul. Il vit qu’elle avait à la main ses vêtements à lui. Ca faisait tellement longtemps…

            « - On y va ? questionna-t-elle.

-          On y va. »

Il fit un pas, hésitant, puis un deuxième. Le sable était tiède sous ses pieds. Mais la nausée lui revenait. Il lutta, se concentra sur ses jambes, qui se dérouillaient peu à peu. La jeune femme marchait doucement devant lui, et elle se retournait souvent pour lui sourire.

Finalement, quand ils arrivèrent devant la cabane, il se sentait presque bien. Du moins, ses jambes fonctionnaient normalement, et les vertiges s’étaient calmés.

« Ce n’est pas très grand, dit-elle banalement, mais c’est confortable. »

Il entra derrière elle, sans s’étonner de rien.

Il n’y avait qu’une pièce. Un vieux canapé contre un mur, près de la cheminée, un matelas à même le sol, à l’opposé, et un poêle décoré de quelques casseroles en face de l’entrée. Il y avait aussi une table en bois au milieu de la cabane, et une porte, à droite, où elle se dirigea :

« La salle de bain, dit-elle, ou plus exactement, juste une douche… J’te pose tes affaires là. Quand tu voudras… Ca fait du bien, tu sais… »

C’est seulement à ce moment-là qu’il réalisa qu’il était plein de sable et de sel. Sans un mot, il s’y dirigea.

« Prends-la chaude, ça détend, dit-elle encore. Et ne ferme pas la porte à clé. »

Il ne comprit pas immédiatement pourquoi. Mais quand il eut refermé la porte de bois derrière lui, et qu’il se sentit soudain très seul, il saisit : elle voulait pouvoir rentrer, au cas où…

En d’autres temps, cette cabane, cette jeune femme lui aurait inspiré d’autres désirs. Mais il était loin de là… Il lutta contre l’angoisse qui le gagnait d’être enfermé seul entre ces quatre murs, et fit couler l’eau. Chaude, elle avait dit. Chaude…

Il se retint de crier quand l’eau effleura sa peau, serra les dents, et peu à peu, sous la douche, il ferma les yeux et se laissa aller à gémir doucement. Les muscles qui se détendent, ça peut faire très mal.

Quand enfin il fut un peu calmé, il coupa l’eau, se sécha à peine et remit ses vêtements. Puis il sortit de la pièce. Il se sentait épuisé, prêt à s’écrouler à tout instant.

Elle se retourna dès qu’elle l’entendit. Elle était en train d’allumer un feu dans la cheminée, et il réalisa brusquement qu’il avait très froid. Elle lui sourit et désigna le canapé :

« Viens. »

Il obéit. La chaleur du foyer l’attirait. Il s’enfonça dans le vieux canapé qui n’avait plus de ressort, et dont le velours était usé jusqu’à la corde. Abandonnant le feu qui brûlait bien, elle se releva et effleura ses mains. Elles étaient gelées. Sans un mot, elle traversa la pièce, prit la couverture qui était sur son matelas, ainsi qu’un chandail qu’elle tira d’une malle, et les lui apporta :

« Mets ça. »

Il enfila le chandail, trop grand et usé, et se laissa couvrir, comme un enfant.

« Merci » murmura-t-il seulement.

Il se sentait malade, fiévreux, fatigué, et appréciait de se faire dorloter. La chaleur revenait doucement dans son corps.

Elle alluma une vieille lampe à pétrole sur la table. La nuit était tombée. Puis elle s’activa devant le poêle, et bientôt, la cabane se remplit d’une odeur agréable.

« Je ne sais même pas ton prénom… » dit-il doucement, semblant sortir de sa torpeur.

« Yoenaï » fit-elle en se retournant.

Le bleu de ses yeux… Il les trouvait envoûtants… Yoenaï… Ce nom résonnait étrangement en lui, porteur de mystère, d’attirance et de danger. L’avait-il déjà entendu ? Il ne savait pas. Réfléchir lui semblait trop difficile.

Un moment plus tard, il rompit à nouveau le silence :

« Je suis resté longtemps dans l’eau ? »

Il avait beaucoup hésité avant de demander, et trouva sa voix étrangement blanche.

Elle se retourna :

« - Un peu. 

-          Si tu n’avais pas été là… »

Il ne finit pas, incapable d’aller au bout de ce qu’il réalisait.

Elle abandonna ses casseroles et s’approcha de lui. Elle lui pressa doucement l’épaule :

« J’étais là, et tu es vivant. C’est tout ce qui compte. »

Il la dévisagea en silence. Il savait qu’il aurait dû la remercier. Elle lui avait sauvé la vie. Il ne pouvait pas. Les mots ne passaient pas.

Elle caressa ses cheveux, effleura ses mains, elles avaient repris une température normale, et retourna à ses fourneaux.

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